« Vivre uniquement dans le moment présent, se laisser absorber par la beauté de la lune, de la neige, les cerisiers en fleurs ou les feuilles d’érables, chanter, boire, être heureux en se laissant aller sans effort, affronter l’adversité avec une suprême indifférence, se refuser au découragement et comme le jonc se rendre à la force du courant, cela est le monde éphémère et flottant. » Contes du monde flottant, Asai Ryoi (Kyoto, 1661)

La cérémonie du thé, l’ikebana, les jardins de pierres, la calligraphie, la peinture à l’encre noire et à l’eau, le haïku, toutes ces manifestations se caractérisent par le vide. Le creux, l’absence, le manque régule les espaces, remplit les lignes, déplace les masses. Le pathos, le sentiment poétique s’habille de vide, d’absence, de manque, de désir. Le suggéré vainc la présence, ce qui ne se dit pas vainc ce qui se dit, le pressenti vainc le perçu. Le bouddhisme au Japon intègre l’absence, ce qui n’est pas là, ce qui se rappelle avec nostalgie. C’est cette caractéristique impérative de la culture japonaise qui, souvent encore à couvert, finit toujours par pointer son nez.

Cette idée du vide, de l’absence, du rien est riche. Trop souvent nous cherchons à combler, à remplir, à produire, et nous ne savons pas regarder ce vide. Dans ce vide se cachent nos désirs, nos envies, notre tristesse, notre vulnérabilité, notre essence, le silence du monde avec lequel nous dialoguons. Nous parlons parfois de vide créateur, cette période traversée qui, parsemée de doutes, nous mène à des idées, des créations, des projets. Accepter le vide, ce qui pour nos cultures “remplies” semblerait être le “rien”, c’est déplacer doucement son regard sur la vie et écouter le murmure du monde au travers de soi, au travers de la terre. Apprendre à valoriser le vide, les périodes de repli, le silence, le “rien”, les moments où l’on a besoin de se retirer, d’appuyer sur pause, de ne plus faire de bruit, de ne plus agir pour se prouver, pour montrer, pour dire que l’on fait ceci ou cela, serait une petite révolution pour nos cultures occidentales. Elle se profile déjà dans l’air du temps mais elle est encore sourde et lente. Et pourtant, se dépouiller, faire le vide, c’est préparer sa renaissance.

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